Désert noir
Réveillé par le cri strident d’un volatile
Réputé pour sa crête à l’aspect flamboyant,
Je demeure allongé dans mon lit, immobile,
D’un sommeil trop léger encore inconscient.
Mon esprit embrumé s’extirpe du nuage
Avecque grande peine et douloureux émois
Comme s’il découvrait son charnel sarcophage
Et devait le mouvoir pour la première fois.
Je quitte la cité, marchant vers la frontière
Séparant notre État des empires voisins.
Les coquets toits urbains sont déjà loin derrière ;
Ici rôdent sans lois voleurs et spadassins.
La joyeuse verdure a laissé place aux cendres,
Héritage maudit d’un conflit meurtrier.
Pas une âme alentour, sinon deux salamandres
Qui prennent le soleil sur ce noir d’encrier.
À chacun de mes pas se soulève un nuage
Endormi sur le sol depuis plus de cent ans ;
La charbonneuse odeur que leur éveil dégage
Semble infuse du sang des anciens combattants.
Quel spectacle honteux que celui de la guerre,
Joué par des pantins vivants, de chair et d’os,
Expédiés au cœur d’un vaste cimetière
En un soir ponctué d’innombrables tombeaux.
Face à cette rancune invisible qui suinte
En gouttes de malaise, il m’apparaît urgent
De traverser avant que sa sinistre empreinte
Ne m’entraîne avec elle et m’enterre vivant.
Après de longues nuits à procéder, sans pause,
De peur qu’un somme se révèle mon dernier,
Je peine à rester éveillé… Que me propose
Ce rocher ? De m’allonger sur son beau dossier ?
La tentation est forte ; une courte sieste
Me ferait du bien… Je m’assieds, déjà rêveur.
« Pauvre fou ! Lève-toi ! » Perçois-je un cri céleste ?
Une angélique voix me sort de ma torpeur.
Reprenant mes esprits, je rouvre mes paupières ;
Une main m’est tendue en guise de soutien ;
Je la prends et m’extrais de mon lit de poussières,
Prêt à remercier mon opportun gardien.
La douceur de sa peau s’avère une surprise ;
Je me risque à hausser un regard intrigué ;
De longs cheveux de lin ballottés par la brise
Ornent une œuvre d’art qui me tient subjugué.
« Le désert noir d’Ormak est périlleux et traître ;
Seuls les inconscients osent le traverser
Sans s’être fait bénir par le pouvoir d’un prêtre.
Es-tu désespéré pour ainsi te presser ? »
Lucina m’interpelle avec inquiétude
Si bien que je demeure interdit quelque instant
Pris d’un étonnement mêlé de gratitude
À la revoir au cœur d’un austère néant.
Ma sauveuse, devant mon éloquent silence,
Lâche prise et m’enjoint de la suivre de près :
« Il faut que nous quittions cet antre de démence ;
Si nous restions ici, tu n’en réchapperais. »
Quand pointe enfin le jour, j’aperçois, rayonnante,
Une terre fleurie, éden inespéré
Qui me délivrera de cette âpre tourmente
Aussitôt que j’aurai sa verdure foulé.
Laissant derrière moi le ténébreux domaine,
Je m’écroule, éreinté, sur un petit buisson.
Le seyant matelas de naturelle laine
M’accueille dans ses bras sans l’once d’un soupçon.