Roman Polanski - J'accuse
Lundi soir, j’ai regardé J’accuse de Polanski, qui est un drame historique retraçant les événements de la célèbre affaire Dreyfus qui déchira la France à la fin du XIXe siècle. J’ai été conquis, surtout que l’affaire elle-même semble déjà tout droit sortie d’un film.
Je m’apprête à résumer les événements tels que dépeints dans le film : il est possible qu’ils divergent légèrement de la réalité, mais les personnages impliqués sont bien tous réels.
En 1894, Dreyfus, capitaine juif de l’armée française, est condamné au bagne à perpétuité pour trahison : il est déporté sur l’Île du Diable. Parallèlement, le lieutenant-colonel Picquart, nouvellement nommé à la tête de la section de statistique—le service de renseignement militaire récemment créé—découvre un morceau de papier qui sera retenu sous le nom de «petit bleu», dont l’écriture est identique à celle du «bordereau» qui a été le principal élément à charge contre Dreyfus. Après des analyses consciencieuses, il acquiert la conviction que le traître est le commandant Esterhazy, et que Dreyfus est innocent.
Picquart décide d’alerter ses supérieurs, notamment les généraux Mercier, Billot, Boisdeffre, Gonse et de Pellieux. Il se heurte cependant à une forte et inattendue réticence à rouvrir l’affaire de la part de l’état-major, qui l’envoie en mission à l’étranger afin de le réduire au silence. Cette opposition est nourrie entre autres par un antijudaïsme ambiant dans la société française de l’époque, et par une fausse preuve fabriquée par le commandant Henry, subalterne de Picquart de la section de statistique. Néanmoins, Picquart finit par se rendre compte qu’il doit absolument revenir à Paris pour mettre le fin mot sur cette affaire car il craint de plus en plus pour sa vie. Il rentre ainsi clandestinement et retrouve son ami Louis Leblois, avocat, qui organise une rencontre secrète entre Picquart et, entre autres, le sénateur Auguste Scheurer-Kestner, le journaliste à L’Aurore et futur Président du Conseil Georges Clémenceau, et l’écrivain Émile Zola, qui publie le lendemain, le 13 janvier 1898, sa célébrissime et éponyme lettre J’accuse…! dans L’Aurore.
La lettre est une attaque directe et nominale contre toutes les personnes impliquées dans cette affaire, y compris le ministre de la Guerre et l’état-major. La révélation a une portée internationale et déchire l’opinion publique française en deux camps : dreyfusards et anti-dreyfusards. Zola est malheureusement condamné à un an de prison et 3000 francs d’amende, mais le procès permet d’exposer l’Affaire et ses contradictions publiquement. Zola s’exile en Angleterre et Picquart, qui avait aussi fait l’objet d’un procès, est emprisonné. En 1899, la Cour de cassation casse le jugement de Dreyfus de 1894 et le renvoie devant le Conseil de guerre de Rennes, avec pour conséquences immédiates le retour de Zola en France et la libération de Picquart. Dreyfus est rapatrié en France pour le second procès. La défense est affaiblie par les divergences des deux avocats sur la stratégie à adopter : Me Demange prône une approche mesurée visant au simple acquittement de Dreyfus, tandis que Me Labori, brillant et jeune avocat, veut l’humiliation de l’état-major. L’état-major au complet témoigne contre Dreyfus sans aucune preuve, voire en niant les preuves existantes, notamment les aveux d’Esterhazy et d’Henry. Me Labori est cependant victime d’un attentat et est écarté des débats pendant plus d’une semaine.
Dreyfus est finalement reconnu coupable de trahison avec «circonstances atténuantes» et écope de dix ans de réclusion et d’une nouvelle dégradation. Le Président du Conseil Waldeck-Rousseau propose la grâce à Dreyfus, qui la voit comme un aveu de culpabilité mais accepte : il est à bout de forces après son isolation prolongée. Après plusieurs années qui voient s’opérer un retour progressif au calme, la Cour de cassation annule sans renvoie le jugement de 1899 et prononce «l’arrêt de réhabilitation» du capitaine Dreyfus. Dreyfus ose une entrevue avec Picquart, devenu ministre de la Guerre, où il lui demande la prise en compte de ses années d’incarcération pour la reconstitution de sa carrière, ce qui le promouvrait au rang de lieutenant-colonel au lieu de commandant. Picquart lui refuse cette demande : il prétend ne pas en avoir la compétence et ajoute que cela créerait trop de remous. Le film se finit sur la séparation des deux hommes, qui ne se reverront plus jamais.
J’ai omis—et probablement oublié—un certain nombre de détails du film pour ne pas vous submerger d’informations. Je dois reconnaître que je n’avais pas bien saisi l’ampleur de l’affaire lorsque je l’avais vue en classe au collège. Il est pour moi inconcevable que le Conseil de Guerre de l’époque—et en fait la majorité de l’état-major—se soit entêté avec une telle véhémence dans le déni de preuves irréfutables de l’innocence de Dreyfus par rapport aux accusations qui le ciblaient, et pire encore, ait soutenu le véritable traître à la patrie (Esterhazy) et lui aient permis de couler des jours heureux en Angleterre jusqu’à sa mort. À n’en pas douter, la France s’est couverte du voile de la honte face à toutes les puissances étrangères à cause de l’absurdité de cette affaire, de la renonciation à toute forme de rationalité de la part de l’armée et de la trahison explicite de tous les principes moraux fondamentaux de l’État français qui s’est opérée lors des deux procès contre Dreyfus.
Concernant le film en lui-même, le climat de tension parfaitement exécuté m’a impressionné : je me suis surpris à soupirer plusieurs fois au cours de la séance pour extérioriser, car l’accumulation de stress ne s’arrête à aucun moment ! J’ai été agréablement surpris par Jean Dujardin en Picquart : il a, je trouve, très bien incarné cet homme parfois froid et austère, mais intègre dans sa fonction. La scène de la publication de J’accuse dans L’Aurore m’a beaucoup plu : c’était ingénieux de laisser chaque personnage lire la ligne qui l’incriminait. En outre, en toute franchise, c’est toujours plaisant de voir les véritables coupables grimacer lorsque leurs méfaits sont révélés au grand jour ; et ne me faites pas croire que vous n’avez jamais ressenti cette sensation !