Brecht - La Vie de Galilée

Titre : La Vie de Galilée
Texte : Bertolt Brecht
Mise en scène : Éric Ruf
Théâtre : Comédie-Française
Note : 5/10

J’ai récemment vu au théâtre La Vie de Galilée de Bertolt Brecht, qui traite, comme son nom l’indique fort bien, de la vie de Galilée, astronome italien du XVIIe siècle mondialement connu pour ses Discours et démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles où il pose notamment les fondements de la mécanique en tant que science.

Galilée, dans cette pièce, est portrayé comme un personnage haut en couleurs, bon vivant, doté d’un enthousiasme à toute épreuve. Il vit avec sa servante, Madame Sarti, et enseigne la physique au fils de celle-ci, Andrea, joué par Jean Chevalier. J’aime bien cet acteur : il joue les personnages un peu benêts avec une authenticité qui me plaît. Surtout, dans La Puce à l’oreille de Feydeau, il jouait un personnage qui ne pouvait pas prononcer les consonnes : ça m’a impressionné !

Nous suivons donc Galilée au cours de sa vie, depuis ses premières découvertes qui le mènent à l’héliocentrisme jusqu’à ses dernières années, assigné à résidence dans sa villa à Florence, en passant par son sulfureux procès par l’Église. J’aimerais vous parler des décors : sur les murs étaient projetés des peintures typiques de la Renaissance (j’ai reconnu le style de Vinci sur certaines) qui m’ont plongé d’emblée dans cette période.

En 1609, Galilée entend parler d’une lunette astronomique inventée en Hollande qui permettrait de voir les objets agrandis sept fois : il s’en fait procurer et les modifie légèrement avant d’en faire une démonstration publique à Venise. C’est un succès, si bien qu’il en cède les droits à la République de Venise, en échange de gages doublés et de la confirmation à vie de son poste de professeur à Padoue.

En 1610, Galilée effectue, grâce à sa lunette, plusieurs observations célestes qui contredisent la théorie aristotélicienne. Notamment, il découvre que Jupiter possède plusieurs satellites, et notamment que certains deviennent invisibles par moments : il pense alors que ces satellites tournent autour de Jupiter, et qu’il s’agit d’un modèle réduit du système solaire. Il s’écrie alors :

L’univers, en l’espace d’une nuit, a perdu son centre.

Il publie ses résultats et devient célèbre du jour au lendemain parmi les cours italiennes, dont tous les nobles veulent rencontrer le savant florentin. Galilée récolte tous les honneurs et revient à Florence, malgré les craintes de ses amis que sa liberté ne soit bridée. Galilée est confiant : il pense que ses opposants ne pourront contredire ses observations.

La séduction qui émane d’une preuve est trop forte.

Le cardinal Bellarmin demande au Collège romain si les calculs de Galilée sont exacts, et le Collège confirme. Les détracteurs de Galilée changent alors de stratégie et l’attaquent sur le plan religieux en pointant du doigt l’incompatibilité entre l’héliocentrisme et une lecture littérale de la Bible. L’affaire s’envenime et en 1616, le Saint-Office censure l’héliocentrisme et interdit à Galilée de l’enseigner, bien que Galilée ne soit pas inquiété personnellement. Il se lamente alors :

Ce que je sais, je suis forcé de le dire aux autres, comme un amoureux.

En 1623, le cardinal Barberini, ami de Galilée, est élu pape sous le nom d’Urbain VIII, ce qui encourage Galilée à reprendre ses travaux. Galilée réunit sa troupe et les enjoint d’observer le ciel avec lui :

Abandonnez tout espoir, vous qui entrez dans l’observation.

On notera une éloquente référence à la porte de l’Enfer de la Divine Comédie de Dante : “Vous, qui devez entrer, abandonnez l’espoir.” Je l’ai immédiatement captée lorsque Galilée s’est dressé sur son tabouret et l’a déclamé avec un air dramatique : c’est une ineffable satisfaction que celle de pouvoir apprécier une référence littéraire parfaitement adaptée à une scène de théâtre. Pour le dire simplement, je me suis senti cultivé, et ça fait grave plèze.

Galilée entreprend alors d’écraser ses opposants en publiant son Dialogue sur les deux grands systèmes du monde qui ridiculise le système de Ptolémée dans un style pour le moins caustique. Même le pape ne peut soutenir Galilée face à la fureur des géocentristes, surtout que Galilée a caché à l’inspecteur de l’Église le contenu de son texte lorsqu’il a demandé l’apporbation de l’Église : il est convoqué par le Saint-Office une nouvelle fois et est sommé d’abjurer sous peine de torture. Galilée cède et est seulement condamné à l’emprisonnement. Son petit groupe de suiveurs l’apprend par trois coups de cloche qui résonnent dans Rome. Infiniment déçus par la lâcheté de leur maître, ils le comblent d’injures et se séparent de lui. Le pape, qui reste son ami, commue la sentence de Galilée en assignation à résidence.

Galilée, vieux et presque aveugle, coule une existence morne mais paisible dans sa villa florentine. Il reçoit la visite d’Andrea, venu lui dire adieu. Néanmoins, Galilée lui transmet ses Discorsi, qu’il a terminé en cachette—car il lui était interdit d’écrire sur l’héliocentrisme. Andrea croit alors que son abjuration était un subterfuge et, pensant s’être complètement fourvoyé sur son maître, s’exclame :

Vous cachiez la vérité à l’ennemi ! Dans le domaine de l’éthique, vous aviez des siècles d’avance sur nous !

Galilée dissipe ce malentendu : il n’avait rien prévu de tel. Andrea promet à Galilée de faire publier son œuvre à l’étranger et repart avec le manuscrit. Galilée prend alors son repas avec son surveillant et sa fille, et la pièce se clôt sur cette scène, qui ne fut pas sans m’évoquer la fin de Candide : “Cultivons notre jardin”. En y réfléchissant de plus près, je ne saurais pas vraiment vous expliquer pourquoi : peut-être est-ce l’humilité qu’exhibe Galilée, contrastant avec sa personnalité enjouée, qui m’a donné cette impression. C’est en tout cas une fin apaisante, porteuse de l’espoir de savoir que la vérité finira par éclater : ses Discorsi seront publiés aux Pays-Bas et en France quelques mois après.