Seconde chance
WILLIAM.
Ainsi, les longs hivers qui nous ont séparés
Précèdent un printemps aux lumineux auspices.
Je vous revois enfin, ma tendre et bonne amie,
Vous qui faisiez ma joie lorsque, enfants, nous jouions
Dans les charmants jardins du comte, votre père.
ELEANOR.
Ce souvenir m’est cher, et je suis enchantée
D’ouïr de votre bouche un compliment si doux.
Je craignais de revoir un homme différent,
Semblable à la chenille, après métamorphose,
S’envolant vers les cieux loin de ses congénères
Sans même leur jeter un ultime regard.
Mais vous êtes toujours le fidèle William
Qui me tenait la main avec affection.
WILLIAM.
Il me tarde pourtant de butiner gaiement
L’éblouissante fleur que j’épouse demain.
Je suis persuadé que vous vous entendrez ;
Sous son air angélique et son sourire aimant,
Elle cache un esprit espiègle qui m’évoque
Celui que j’observais dans vos claires pupilles
Quand des lutins farceurs venaient vous inspirer.
ELEANOR.
Je n’ai pas encore eu le plaisir de la voir.
L’aimez-vous donc vraiment ?
WILLIAM.
Plus que je ne puis dire.
ELEANOR.
N’est-ce pas la raison, mais le coeur qui vous guide ?
WILLIAM.
Ah ! chère Eleanor, puissiez-vous ressentir,
Vous aussi, le bonheur de vous abandonner
Aux délices qu’Éros réserve aux papillons !
Nulle comparaison n’en saurait être digne :
Lorsque l’amour vous prend, il vous prend tout entier.
Il fait d’un gland un chêne au tronc robuste et fier,
Change une vilaine oie en majestueux cygne,
Sculpte dans la falaise une statue en or
Et rend même vigueur au vieillard amolli.
Je me suis découvert une vitalité
Que jamais en mon corps je n’eusse soupçonné ;
Si je ne me voyais, je croirais qu’en mon dos,
Les ailes de l’amour me portassent céans.
Qu’avez-vous, chère amie ? Êtes-vous fatiguée ?
ELEANOR.
Ce n’est rien, ce n’est rien… Le trajet fut bien long.
WILLIAM.
Que la nuit vous caresse avec affection
Et chasse tous les maux qui puissent vous toucher,
Car demain est un jour que même les démons
Ne sauraient entacher de leurs mauvais desseins.
Hastings n’aura jamais connu de telle fête,
Et vous y brillerez comme à votre habitude.
PREMIER SERVITEUR.
Monsieur, vite ! Montez ! C’est votre fiancée
Qui se tord de douleur en criant votre nom !
WILLIAM.
Quelle est cette folie ? Ô Ciel, épargne-la !
Et que, si j’ai péché, je périsse à sa place !
ELEANOR.
Quel est ce sentiment qui coule dans mes veines ?
Arrière, vil serpent ! Ne me dévoile pas
La vérité qui dort, enfouie en mon sein…
C’est un affreux malheur qui vient de se produire ;
Je devrais ressentir la tristesse qui vient
Tout naturellement lorsque nos proches souffrent.
Pâle Achlys, aide-moi ; conjure donc mes larmes !
Qu’un torrent de chagrin s’écoule de mes yeux,
Qu’une terrible peine envahisse mon âme
Et que s’éteigne enfin cette perverse joie
Qui vient de s’allumer dans toute ma poitrine…
Je ne résiste plus, je cède, je me rends !
Faucheuse au bras zélé, n’écoute pas cet homme.
Exauce mon souhait et cueille promptement
Cette fleur importune à l’envoûtant parfum.
M’est-il permis d’y croire ? Est-ce un cadeau du ciel ?
Non, cette volonté ne peut venir d’en haut :
C’est le diable qui rit, du fond de cette terre,
Et je l’y rejoindrai pour cette trahison…
Mais puisqu’il me propose une seconde chance,
Je l’accepte avec grâce en lui cédant mon âme
Pour conquérir le cœur qui me revient de droit !