Morgana

Dans un humble logis prie une femme enceinte,
Levant les yeux au ciel, s’adressant au Seigneur ;
Elle entend une voix qui l’emplit de bonheur :
Un ange lui prédit qu’elle attend une sainte.

À son accouchement se produit un miracle ;
Quand la charmante enfant pousse son premier cri,
Le village asséché, désespéré, meurtri,
Retrouve l’espérance en un pluvieux spectacle.

La fillette est chérie et grandit sans problèmes,
Sauf certains mécréants doutant de ses pouvoirs.
Lasse d’ouïr ces gueux la railler tous les soirs
Elle entend mettre un terme à leurs navrants blasphèmes.

Au fébrile chevet d’une vieille fermière,
Elle s’ouvre le doigt d’un vif trait de couteau,
Laissant le pur filet de son écarlate eau
Abreuver la souffrante à la luisante sclère.

Le visage ridé reprend un teint de flamme ;
Le souffle luctueux s’adoucit lentement ;
Tel un acteur ôtant quelque déguisement,
La paysanne semble une nouvelle femme.

Sceptiques et païens, témoins du phénomène,
Se mettent à genoux, prêts à se repentir.
Contre l’avis de tous, au lieu de les punir,
La sainte Morgana les convie au Domaine.

Les villageois émus devant tant d’indulgence
Accordent leur pardon avec sincérité.
Son Père tout-puissant n’eût point déshérité
Un agneau confondu par sa propre ignorance.

Guidée entièrement par son devoir suprême
D’assistance et d’amour pour les plus miséreux,
Elle couvre ses bras d’abîmes douloureux,
Soignant les affligés par un sanguin baptême.

La mère au fil du temps s’éloigne de la fille,
Ne reconnaissant plus en elle son enfant.
Par un sombre matin au brouillard étouffant
Frappe à la porte un homme à la voix qui nasille.

« Mère, qu’ai-je donc fait ? » Tout s’est passé trop vite.
Depuis le chariot aux lourds barreaux carmins,
La sainte entend sa mère, un sac d’or dans les mains,
En boucle murmurer : « Créature maudite. »