La Promenade des anges

J’étais venu te voir en redoutant le pire,
Mais prêt à recevoir ce que tu voulais dire.
Le restaurant était paisible et chaleureux,
La serveuse agréable et le plat savoureux.
Maints passants traversaient l’ancienne galerie,
Cherchant quelque boutique ou quelque brasserie,
Marchant de-ci de-là d’un air parisien.
Nous parlâmes de tout, c’est-à-dire de rien,
Puis tu voulus sortir explorer le passage ;
J’opinai. Tout m’allait : je suis un enfant sage,
Quoiqu’il m’apparût vite, en suivant ce chemin,
Qu’il m’eût été plus doux de te prendre la main.
Lorsque je t’en fis part, je lus dans ton sourire
Que la tempête avait rattrapé le navire.
Je garderai pour moi la teneur de ces maux
Que tu t’évertuas à dire avec tes mots ;
J’écoutai calmement, humble destinataire,
Tel un bourgeon s’ouvrant à ta blanche lumière.
Cette sincérité que tu voulus m’offrir
Semblait te peser lourd et te faire souffrir ;
Tu n’imagines pas quelle fut mon alarme
À voir sur tes beaux yeux se former une larme,
Quels monts j’eusse gravis pour délivrer ton cœur
De l’angoisse, du doute et, surtout, de la peur.
Je te pris dans mes bras avec délicatesse
Afin de consoler ta présente détresse ;
Nous restâmes ainsi tous les deux d’un seul corps,
Suspendus hors du temps, sans regrets ni remords,
Comme deux mannequins sculptés dans de l’albâtre.
Je pris une minute, et deux, et trois, et quatre,
Pour graver en mon sein l’encre du souvenir
Et me persuader que tout devait finir.
Lorsque je te sentis relâcher ton étreinte,
Je tus dans mon esprit ma langoureuse plainte
Et résolus d’aller dans le sens de tes vœux.
Ma main se délogea du lit de tes cheveux
Et soigneuse, avant tout, de respecter ta peine
Elle se détourna tout juste de la tienne,
Croyant par ce repli te faire une faveur.
Ce que je vis alors me déchira le cœur
Car, contre toute attente, à ce moment charnière,
Ton timide majeur frôla mon annulaire…
Moi qui me figurais avoir trouvé la paix,
Je sus en cet instant combien je me trompais ;
D’un leste mouvement, comme un aigle qui fauche,
Ma main fit demi-tour et saisit ta main gauche ;
Tendrement, je glissai mes doigts entre les tiens,
Trop heureux d’accoupler ces lilliputiens,
Et je pressai ta main d’un serrement modeste,
Et tu me le rendis pour adouber mon geste…
Je chéris ce vestige ô combien précieux
De cette promenade où, descendus des cieux,
Séraphins, chérubins, trônes, vertus, archanges
Chantèrent pour nous deux leurs plus belles louanges.