Shakespeare - Jules César

Titre : Julees César
Texte : William Shakespeare
Mise en scène : Rodolphe Dana
Théâtre : Comédie-Française
Note : 6/10

J’ai eu la chance d’assister à une représentation de Jules César au théâtre du Vieux-Colombier par la troupe de la Comédie Française hier soir. Les places se sont vendues à une vitesse folle, si bien qu’en quelques jours après l’ouverture des ventes aux détenteurs d’une carte CF, il n’en restait plus aucune, à mon grand dam !

Vous connaissez sûrement l’histoire dans ses grandes lignes : Jules César, vainqueur contre Pompée, rentre à Rome semblable à un dieu sur terre. La rumeur court qu’il compte transformer la république romaine en monarchie ; certains sénateurs conspirent alors contre lui, menés par Cassius. Ce dernier finit par convaincre Brutus, fils adoptif de César, de se rallier à leur cause. Au Capitole, les conspirateurs assassinent César, puis Brutus explique au peuple pourqoi il a agi : par nécessité, et non par jalousie. Cependant, Marc Antoine prononce ensuite un discours qui exhorte le peuple romain à venger César. Antoine, qui s’allie entre temps à Octave, fait ensuite face aux troupes de Brutus et Cassius dans les plaines de Phillipes. Alors que la bataille fait rage, Cassius se suicide, croyant son camp vaincu. Brutus, voyant la défaite approcher, le suit peu après, hanté par sa conscience et par le spectre de César. La pièce se clôt sur un hommage d’Antoine à Brutus, le seul conspirateur qui ait véritablement agi pour le bien public.

Le Vieux-Colombier a cette particularité que les spectateurs sont divisés des deux côtés de la scène : je craignais de ne pas pouvoir entendre correctement la moitié des répliques mais ce ne fut en fin de compte pas en problème. En outre, cette double audience permet aux acteurs d’interagir plus facilement avec le public, ce dont ils ne se sont pas privés. J’ai été agréablement surpris du registre lexical, qui était parfois assez familier, mais qui collait bien au ton des scènes concernées. Nâzim Boudjenah a interprété Brutus de manière très intéressante : il a brillé par son manque de charisme. J’ai pensé au début que l’acteur était mal choisi, mais je crois bien que c’était en fait là la nature même du personnage : un homme vertueux, qui ne cherche pas la gloire, et qui doit choisir entre tuer un être cher et assister à la mort de la république. Par ailleurs, beaucoup de personnages masculins ont en fait été joués par des actrices : César, Métellus, Antoine et Trébonius notamment. Cela valait la peine d’être mentionné.

Répliques

J’ai fait l’effort de retenir les tirades qui m’ont le plus marqué, et j’ai fait une bonne récolte ! Voici les sept qui me sont restées en mémoire :

“Le danger, c’est fort bien, mais César est plus dangereux que lui.” — César

J’ai dû réprimer un rire lorsque Martine Chevalier l’a sortie : quelle amusante et authentique expression d’un orgueil démesuré !

“Je regrette que la vertu ne puisse vivre à l’abri des morsures de l’ambition et de la jalousie.” — Le Devin

Quelle belle métaphore. Ambition et jalousie, tels des loups affamés, convoitant l’innocente vertu !

“Ô jugement, tu as fui chez les bêtes ! Et les hommes ont perdu la raison ! — Antoine

Antoine s’exclame ainsi lorsqu’il montre au peuple le cadavre de César et s’émeut de ce que personne ne verse de larmes pour lui. J’ai été frappé par l’éloquence de l’apostrophe.

“L’ingratitude, plus que le bras du traître, a terrassé son âme.” — Antoine

Antoine parle ici de Brutus tuant César, mettant en relief l’infâmie de son acte. Le contraste entre la violence physique et mentale est très à propos.

“J’enterre toute colère dans ce verre.” — Brutus
“Mon cœur a soif de cette promesse.” — Cassius

Alors qu’ils viennent de se disputer, Brutus tente de désamorcer son différend avec Cassius, puis ils boivent un verre de réconciliation. Surgit alors cette métaphore filée que j’ai beaucoup appréciée.

“L’ennemi se renforce de jour en jour ; nous, parvenus au sommet, ne pouvons que décliner.” — Brutus

Cette réplique annonce déjà le funeste sort qui attend les deux conspirateurs. L’inéluctable est ici subtilement évoqué, sans pour autant sembler joué d’avance. Le temps joue contre eux : il leur faut agir, et vite, ou abandonner tout espoir.

“Si l’argumentation nous met en sueur, la preuve exige une transpiration plus rouge !” — Octave

Alors que Cassius et Brutus sont face à Antoine et Octave, les négociations sont au point mort. Octave interrompt alors la discussion ; je n’ai pu m’empêcher de rire à cette réplique pleine d’esprit. Peu surprenant qu’Octave ait conquis les sénateurs avec une telle répartie !

Conclusion

Cette pièce m’aura fait voir Brutus d’un autre œil. Je me l’étais toujours représenté comme un traître ingrat : je vois à présent que ce n’était pas nécessairement le cas. Peut-être est-il plus juste de l’imaginer comme un patriote avant tout. Un homme qui tua son père adoptif par amour pour son pays. Comme dit Antoine à la fin de la pièce : “De tous les Romains, il fut le plus noble. Tous les conspirateurs n’agirent que par jalousie du grand César, lui non. Lui seul pensait loyalement à l’intérêt général et au bien public.”