Pauline Bureau - Hors la loi
Titre : Hors la loi
Texte et mise en scène : Pauline Bureau
Théâtre : Comédie-Française, Vieux-Colombier
Note : 9/10
Hors la loi retrace le fameux procès de Bobigny, au cours duquel Gisèle Halimi défendit la jeune Marie-Claire Chevalier, alors âgée de dix-sept ans et accusée d’avortement. Le procès se conclut par l’acquittement de la jeune femme et fut un événement majeur dans le combat des femmes pour la légalisation de l’avortement.
Après Les Amis de Paul, il faut reconnaître que la Comédie Française envoie des paillettes plein les yeux. La mise en scène dispose de plus de moyens, et les acteurs ont assurément plus de panache. Si quelqu’un peut m’expliquer comment les murs du tribunal devenaient transparents à certains moments de la pièce, j’apprécierais beaucoup, parce que je n’ai pas la moinde idée de comment ils s’y sont pris. Enfin, je m’égare.
Au cours de l’été 1971, Marie-Claire sort avec Daniel, un copain, qui la prend en voiture, lui fait écouter des disques chez lui, et la viole. Michèle, sa mère, finit par comprendre de quoi il retourne quand la jeune fille lui avoue avoir des « troubles » quelques semaines plus tard, et l’emmène consulter un médecin. Marie-Claire est enceinte, et dévastée en apprenant la nouvelle. Michèle cherche avec ardeur quelqu’un qui pourrait la faire avorter, et finit par trouver Madame Bambuck, qui réalisera l’acte—illégal à l’époque. Daniel les dénonce et Michèle et Marie-Claire sont arrêtées. Michèle contacte alors Gisèle Halimi, avocate et militante féministe, laquelle accepte de plaider en leur défense, et plus encore : elle compte transformer le procès de Marie-Claire en un procès politique de l’avortement.
Pendant la pièce, j’ai trouvé quelques monologues superflus. Je dirais même que raconter l’histoire à travers une Marie-Claire âgée était absolument dispensable, car la fin aurait eu beaucoup plus de poids si elle avait coïncidé avec le verdict du tribunal. En outre, certains passages musicaux étaient d’une utilité douteuse ; parfois, le silence est un choix plus pertinent que tout autre.
À l’inverse, la scène où Marie-Claire prend conscience qu’elle est enceinte m’a particulièrement ému : Coraly Zahonero et Claire de la Rüe du Can ont joué mère et fille avec une authenticité poignante.
Et surtout, la scène du procès à elle seule justifie d’aller voir cette pièce. Françoise Gillard interprète Gisèle Halimi avec une verve qui ne pâlirait pas face à celle de l’avocate. Je dois avouer que je n’étais pas familier avec la vie d’Halimi, mais je suis admiratif de la détermination dont elle a fait preuve lors de ce procès et de l’éloquente plaidoirie qu’elle fit devant le tribunal—reproduite à l’identique dans la pièce. Les commentaires du procureur m’ont parfois fait grincer des dents, mais il faut bien se replacer dans le contexte de l’époque. Le témoignage de la jeune femme qui n’a pu avorter et dut être placée dans un foyer de maternité m’a glacé le sang. J’ai constaté avec indignation l’humiliation qu’ont subies tant de femmes pendant si longtemps. L’intervention de Delphine Seyrig, qui déclare impunément devant les juges avoir avorté deux fois, m’a insufflé une part de l’espoir qui emplissait la lutte de ces femmes pour la reconquête de leurs corps. Enfin, la plaidoirie de Gisèle Halimi, sûrement un brin plus théâtralisée qu’elle ne le fut réellement, m’a captivé. J’ai du mal à me dire que la vraie Halimi a déclamé ce même texte qui m’a tenu en haleine pendant plusieurs minutes : cela tient presque de la fiction.
L’annonce du président de la relaxe de Marie-Claire, couplée aux images des manifestants diffusées sur les murs et à la vue de cette même Marie-Claire restée debout sur scène, m’a donné des frissons, de ceux qu’on ressent quand on assiste à quelque chose de grandiose. Quand on sait que, juste devant soi, s’est déroulé un événement qui marquera l’histoire.
Le théâtre existe pour nous permettre de ressentir des émotions intenses, de recevoir la fameuse catharsis. Il existe pourtant des individus qui, non contents d’être simples spectateurs, montent sur la scène du monde et créent leur propre pièce. Gisèle Halimi était, de ce point de vue, une actrice remarquable.