Gluck - Iphigénie en Tauride
Je suis allé voir hier Iphigénie en Tauride de Christoph Willibald Gluck au Théâtre des Champs-Élysées, dont l’intérieur rappelle quelque peu le palais Garnier.
Contexte
Dans la France du XVIIIe siècle, s’il y a bien un sujet de conversation épineux, c’est l’art. Notamment, la querelle entre les gluckistes et les piccinistes fait rage après 1750 : la Reine Marie-Antoinette favorise le Chevalier Gluck, son ancien maître de musique, mais le camp adverse, comprenant entre autres d’Alembert, Mme du Barry et Marmontel, soutient Niccolo Piccini. L’Académie Royale en profite et propose aux deux compositeurs d’illustrer une même histoire pour que l’on puisse les comparer : la postérité retiendra Gluck. En 1779, Iphigénie en Tauride, version améliorée d’une ancienne Iphigénie en Aulide créée en 1774, provoque l’admiration de toute la Cour lors de sa création dans la nouvelle salle du Palais Royal. L’œuvre annonce le romantisme et marque une franche rupture avec les précédentes : pas d’intrigue secondaire, seule l’action principale est représentée. Cent ans plus tard, Wagner, fervent admirateur de Gluck, s’inspirera de l’ouverture en tempête pour La Walkyrie.
Scénario
La pièce raconte une partie de la célèbre histoire des Atrides, les descendants d’Atrée, dont entre autres Agamemnon et Oreste. Agamemnon, roi de Mycènes, ordonne le sacrifice d’Iphigénie à la déesse Dianne dans l’espoir d’obtenir des vents favorables avant la guerre de Troie. Diane prend pitié d’elle et la sauve en secret en la remplaçant par une biche, puis l’envoie en Tauride pour qu’elle devienne sa prêtresse. Après la guerre, Agamemnon est assassiné par sa femme Clytemnestre, déchirée par la mort de sa fille. Oreste, leur fils commun, venge son père en tuant Clytemnestre. Il s’enfuit avec son ami Pylade par la mer et fait naufrage sur les côtes de Tauride.
Thoas, roi de Tauride, ordonne à Iphigénie de tuer les deux étrangers. Oreste, qui ne dévoile pas son nom mais ignore aussi l’identité de la prêtresse, lui apprend qu’Agamemnon et Clytemnestre sont morts, et déclare qu’Oreste a rendu l’âme également. Prise de sympathie pour Oreste, Iphigénie décide de le laisser s’enfuir. Néanmoins, Oreste la persuade de le laisser mourir, rongé par la culpabilité du meurtre de sa mère et animé par le désir de sauver son ami. Pylade part donc sous les ordres d’Iphigénie remettre une lettre à Électre, sœur d’Iphigénie et d’Oreste. Alors qu’Iphigénie s’apprête malgré elle à sacrifier Oreste, ce dernier se rappelle à haute voix la mort de sa sœur Iphigénie, laquelle s’arrête alors in extremis. Les deux se reconnaissent et s’embrassent, mais Thaos revient et, furieux d’apprendre que Pylade s’est enfui, ordonne la mort d’Oreste. Pylade revient alors et occit le tyran. Diane apparaît, et déclare qu’Oracle, ayant expié sa faute, doit retourner régner à Mycènes.
Avis
Pour être franc, je ne savais pas à quoi m’attendre, mais j’ai été agréablement surpris, notamment à la toute fin. Le chant des acteurs ne m’a pas transcendé comme La Force du Destin mais ce fut assez amusant d’écouter un opéra en français. Certains choix artistiques de mise en scène m’ont paru fort pertinents, notamment d’écrire les noms des deux parents sur les murs, pour ensuite les effacer lorsqu’Iphigénie apprend leur mort.
J’ai beaucoup apprécié la scène où Oreste et Pylade se disputent en essayant de se convaincre réciproquement de garder la vie sauve : Oreste ne veut pas la mort de son ami innocent, et Pylade prétend que mourir pour Oreste est la plus belle preuve qui soit de son amitié.
Pylade, c’est vraiment un chic type quand même. Enfin, je m’égare.
La réaction d’Iphigénie contemplant la noblesse d’Oreste face à la mort m’a beaucoup plu également.
Ah ! Cachez-moi cette humble vertu.
Quel comble, que de prier un homme de masquer sa grandeur d’âme afin d’avoir le courage de l’exécuter ! Je n’ai pu m’empêcher d’esquisser un sourire.
Vers la fin, le premier coup de maître fut l’apparition de Diane dans les rangs du public. Quelle surprise lorsque je me suis rendu compte que la voix venait du balcon central ! Faute de lumière, je n’ai pu discerner exactement où la déesse se trouvait, mais l’idée était suffisamment bonne pour marquer les esprits.
Le second coup de maître fut la levée des murs de la scène lors du chœur final. Alors que, pendant toute la pièce, ces murs noirs et froids, balafrés par les noms des morts, étouffaient les personnages, prisonniers de leurs fers de prêtresse ou de sacrifices, voilà qu’ils laissent place à la lumière ! En effet, la salle, derrière les murs, rayonne d’une blancheur divine, éclairant le théâtre d’une lueur semblable à l’aube, tel le soleil chassant la nuit ténébreuse qui pèse depuis toujours sur la famille des Atrides. J’eûs presque cru qu’il faisait jour à l’intérieur du théâtre, empli alors d’une atmosphère surréelle, voire onirique. Sincèrement, j’eus l’impression d’une expérience unique, et mon cœur en battit la chamade, savourant le caractère éphémère du moment. Après un tonnerre d’applaudissements mérités, quel étrange sensation que de revoir l’éclairage artificiel s’allumer et le rideau retomber, faisant disparaître à jamais cette porte vers un autre monde.
Si vous le pouvez, je vous conseille chaudement d’aller voir la pièce, qui est encore en salles pour quelques jours !
Digression irrépressible
O moment trop heureux ! Ma mort à mon ami
Va donc sauver la vie !
Mais quand même, quel ami en or, ce Pylade ! Ça va, j’ai compris, je m’arrête là…