Promenade à Primelaya
Seuls les rares craquements des brindilles sous ses pieds transperçaient les ténèbres. À la faible lueur de la seconde lune, Nahl progressait prudemment à travers les arbres, cherchant à se fondre dans la flore. Il s’arrêta un instant sous un cèdre imposant que ses branches protégeaient telle une armure à pointes. Reposant son dos contre son tronc rugueux, le mercenaire reprit son souffle, guettant le moindre mouvement alentour : hormis le souffle affaibli du mistral provenant du nord, rien ne lui parvint. Il se remit donc en marche. De temps à autre, des fleurs bleues reflétaient le clair de lune si bien que, de loin, elles apparaissaient comme des paires d’yeux qui l’épiaient furtivement. Nahl sentait son orgueil de chasseur blessé : malgré ses précautions, il était tout à fait nu au milieu de ce bois qui l’observait intensément. Les arbres comme les buissons le dévisageaient à tout instant ; Nahl les entendait presque se moquer de lui.
S’apprêtant à contourner une clairière pour rester dans la pénombre, Nahl entendit un bruit. Il s’accroupit aussitôt, se saisit de son poignard et surveilla ses alentours avec la plus grande méfiance. Néanmoins, le silence reprit ses droits, et Nahl sa route. Si les rumeurs étaient fondées, sa destination ne devait plus être très loin, aussi s’était-il surpris à presser le pas, bien que cela fût peu prudent. Traverser Primelaya était devenu une idée folle depuis la chute de Merjakk ; de féroces créatures y avaient élu domicile. Et pourtant, jusqu’à présent, la dangereuse excursion s’apparentait à une champêtre promenade d’agrément. Nahl en était presque déçu, lui qui espérait rencontrer une ou deux bestioles et, avec un peu de chance, en abattre une. Soudain, Nahl entendit un second bruit, bien plus proche que le précédent. D’expérience, il savait qu’à partir de deux signaux, il n’y avait plus de doute : il était suivi. Nahl s’élança à toute allure dans une région plus dense en végétation afin de prendre de la distance et mesurer le danger. Il se réfugia dans un buis touffu et plissa les yeux pour apercevoir son poursuivant. Encore une fois, il ne vit rien. Nahl jeta un œil au-dessus de lui et aperçut deux petites lueurs bleues. Il comprit que ce n’étaient pas des fleurs, mais bien des prunelles d’yeux : il eut juste assez de temps pour sauter hors de son cocon vert, car une masse s’écrasa dessus et la force de l’impact lui fit hérisser le poil.
Son assaillant se releva et Nahl distingua une forme humanoïde qui se mit aussitôt à le poursuivre. Nahl courut s’abriter derrière un arbre, et sortit à nouveau son poignard. Lorsque la créature arriva à son niveau, Nahl tenta un fauchage avec sa jambe droite qu’elle esquiva d’un soubresaut ; pivotant autour de sa jambe gauche, Nahl enchaîna avec un coup de poignard visant le ventre de la bête, mais elle riposta en balayant le bras de Nahl d’un chassé avant de plonger sa main comme une lame vers sa gorge. Nahl esquiva en se roulant au sol et sauta en arrière. De toute évidence, le monstre était plus robuste que lui : Nahl estima que la fuite était sa seule option raisonnable. Il lança son poignard en visant le cœur ; le monstre se pencha vers la droite pour l’éviter, mais cela donna à Nahl quelques précieuses secondes pour s’enfuir. Son soulagement fut de courte durée car il entendait que la bête le rattrapait. Lorsqu’elle se rapprocha à moins de deux mètres de lui, Nahl se retourna dans sa course pour contrer sa charge de face et brandit sa main face à la créature : elle lui plongea dessus et le cloua sec au sol. À cheval sur Nahl, le monstre s’apprêta à lui ouvrir le torse avec ses griffes, quand le poignard de Nahl lui revint dans sa main droite. Il le planta dans la gorge de la bête, qui sauta en arrière par réflexe. Nahl brandit sa main pour rappeler son poignard une seconde fois, ouvrant au passage une plaie béante dont gicla une effusion de sang, et le relança de toute sa force vers le torse du monstre. La bête dévia le poignard d’un revers de son autre main, brisant quelques griffes au passage. Elle couvrit sa blessure de son autre main puis s’enfuit dans la forêt.
Nahl, à bout de souffle, alla ramasser son poignard. Un rayon de soleil perça soudain l’obscurité sylvestre et Nahl put s’assurer qu’aucune autre créature ne rôdait dans les parages. Il reprit son chemin vers la sortie de la forêt et, lorsqu’il atteignit l’orée du bois, fut accueilli par des ruines grandioses qui, abandonnées par le temps, se laissaient conquérir par les lierres et la mousse. Nahl esquissa un sourire résolu : enfin, l’ancienne citadelle de Merjakk lui ouvrait ses portes. Sa véritable mission allait pouvoir commencer.