Première rencontre
Chaque nuit, je te rencontre pour la première fois.
Sur une plage déserte, je marche, sans savoir où mes pas me mènent. Happé par leur beauté, je m’assois et contemple les reflets fauves du ciel vespéral dans l’océan. Le bruit des vagues caresse mes oreilles ; mes narines hument le sel marin. Cette escapade sensorielle m’enveloppe dans un cocon apaisant que les rayons de soleil aspergent d’une nitescence chaleureuse. Je lève les yeux. Un croissant de lune se montre, timide, au milieu de la voûte céleste peinte par le crépuscule. Je me lève alors et tends la main, comme pour le saisir. Ma main obfusque la lumière dans laquelle je baigne, projetant son ombre portée sur mon visage. Diffractée ainsi entre mes doigts, cette mystérieuse clarté me fascine, comme lorsque, étant enfant, la porte à peine entrouverte de ma chambre laissait filtrer la lueur d’une bougie, me faisant deviner un autre monde.
Lorsque je me retourne, tu es là. Tu me regardes en souriant. Mon regard se plonge dans tes yeux où brillent deux obsidiennes ; je n’ose briser le silence qui nous lie, dans cette complicité familière et étrange. Nous nous reconnaissons sans pourtant nous connaître. Nous restons face à face pendant un temps qui m’est inconnu, avec, pour seul témoin, ce paysage enivrant. Tu me tends la main ; je la prends et te laisse m’emmener. Il suffit d’un clignement d’yeux pour que la plage disparaisse et qu’une nouvelle scène se crée. À chaque fois, tu me réserves une surprise. Quelle sera donc notre prochaine histoire ?
Nous nous retrouvons au cœur d’une profonde caverne, chacun une torche dans une main et une main dans l’autre. Nous avançons le long d’un précipice, adossés à une paroi rocheuse. Malgré notre entreprise, la peur m’est étrangère ; je ne saurais m’expliquer pourquoi. Est-ce toi qui me rends inconscient du danger ? Ou est-ce moi qui l’ignore, de peur de te perdre ? Tu regardes derrière toi pour t’assurer de ma disposition. Je devine, à ta mine enjouée, que tu as une idée en tête. Je te devance et, abandonnant ma torche sur la corniche, plonge dans l’obscur inconnu qui nous dévisage en contrebas. Soudain, je transperce un lac souterrain qui absorbe ma chute. Je me laisse remonter et m’allonge, flottant à la surface. Ma main retrouve la tienne. Nous restons immobiles, unis dans ces ténèbres réconfortantes qui nous ramènent l’un contre l’autre. Soudain, je sens ta main sur ma joue. Je tourne la tête vers toi, et je distingue faiblement ton visage. Les larmes qui perlent dans tes yeux me saisissent. L’une d’elles s’échappe de son refuge et glisse par-dessus ton nez, traversant ta joue. Tu esquisses alors un sourire grave ; je redoute la suite. Tu ouvres la voix, pour la première fois :
« Ne m’oublie pas. »
Cette nuit, je te rencontrais pour la dernière fois.