Hadès

Le fils du seigneur des Enfers
Rêve de rejoindre les cieux,
D’admirer le bleu roi des mers,
Et de siéger avec les dieux.

Hélas, son père tyrannique
Lui refuse sa liberté,
Faisant du palais tellurique
Le cachot du jeune agité.

Guidé par l’appel de son cœur,
Le prince s’enfuit du château,
Laissant derrière lui sa peur,
S’affranchissant de tout fardeau.

« Le chemin qui joint la surface
Est d’unique direction.
Il n’existe ni droit ni passe
Qui octroyât d’exception. »

Le prince entre dans le Tartare,
Domaine empli d’affreux donjons.
Dans cet hostile territoire,
Demeurent traîtres et félons.

De tels sujets au cœur perfide
S’opposent à notre héros
Lequel, naïf et peu lucide,
Finit par périr de leur maux.

Il renaît du Styx, divin fleuve,
Dont l’eau couleur sang resplendit ;
Le prince à la puissance neuve
Repart dans l’éternelle nuit.

Alors qu’il quitte le manoir
Lui vient un message d’en haut.
Ses pairs veulent le recevoir,
Et l’assisteront s’il le faut.

Les dieux font grâce à l’ardent fils
De dons magiques et puissants ;
Ces artéfacts des temps jadis
L’immunisent à maints tourments.

Fort de cette faveur insigne,
Le prince vainc ses ennemis.
Debout, se dressant sur sa ligne,
L’attend Mégère aux cheveux gris.

La Furie est un adversaire
Incomparable aux précédents ;
Ses coups, brisant même la pierre,
Achèvent la lutte en deux temps.

Le prince ressurgit du Styx
Avec détermination.
Dans sa chambre, un miroir d’onyx
Renforce sa condition.

S’ensuivent maintes tentatives,
Riches d’échecs parfois cuisants,
De défaites, de douleurs vives,
Dignes des pires châtiments.

Pourtant le prince enfin terrasse
La belle et fougueuse Érinye.
Tel un poisson fuyant sa nasse,
Il s’échappe avec euphorie.

Les feux du pré de l’Asphodèle
Accueillent le jeune guerrier.
Les monstres enflamment son zèle ;
Il les vaincra jusqu’au dernier.

Soufflé par une étrange bombe
Et brûlé vif dans le magma,
Il ne craint pourtant pas la tombe :
Le Styx toujours le sauvera.

Au terme de plusieurs périples
Du fleuve à la plaine embrasée,
L’hydre aux encéphales multiples
S’oppose à sa course endiablée.

La redoutable créature
Tiendrait tête aux divinités ;
Par son ubiquiste nature,
Elle attaque de tous côtés.

Entre eux d’innombrables duels
Dignes des légendes d’antan
Feraient pâlir les éternels,
De la nymphe jusqu’au titan.

Riche de cette expérience,
L’ingénieux prince ennoblit
Son art de manier la lance,
Si bien que l’hydre enfin périt.

Plus haut, des terres cristallines
Lui présentent leurs orchidées
Aux lueurs blanches et divines :
« Bienvenue aux Champs Élysées.

Domaines des grands et des justes,
Des héros et des vertueux »,
Clament des braves aux fiers bustes
Devant le prince audacieux.

Leur endurance inégalable
Les revigore en peu de temps
Et leur technique redoutable
Font d’eux d’effrayants combattants.

L’adversité souvent exige
Clairvoyance et précaution ;
Le fils se révèle prodige
À la guerrière passion.

Dans la plus belle des arènes
L’attendent, prêts à l’action,
Thésée, illustre roi d’Athènes,
Et le terrible Astérion.

Pressé par le duo mythique,
À bout de souffle et d’énergie,
Le prince assène un coup critique
Ôtant à l’hybride la vie.

Fou de rage, Thésée invoque
Le courroux de Poséidon ;
Zeus, d’une faveur réciproque,
Répond sans hésitation.

Au milieu de l’apocalypse,
Un éclair frappe, abruptement,
Le roi qui, vaincu par l’éclipse,
Expire sans gémissement.

Surpris de sa propre victoire,
Le prince reprend son chemin,
Sortant par la porte d’ivoire
Qui seule connaît son destin.

Foulant du pied la terre vierge
Que nul n’avait encore atteint,
Le prince aperçoit le concierge
Qui les clés du temple détient.

Devant lui se dresse Cerbère,
Des Enfers gardien attitré.
Aimant la bête comme un frère,
Le prince a le cœur déchiré.

Refusant avec véhémence
D’occire son cher compagnon,
Il pénètre non sans prudence,
Dans la riveraine prison.

Le lugubre cachot abrite
Vermines, satyres et rats
Qui ont pour arme favorite
De puissants poisons scélérats.

Au plus profond du labyrinthe,
Dans un beau sanctuaire, gît
Une fontaine dont l’eau sainte
Revigore corps et esprit.

Le prince boit le divin fluide
Retrouvant sa vitalité.
Alors, un sac d’odeur fétide
Pique sa curiosité.

Son contenu fort méphitique
Est pour Cerbère un mets fameux ;
En échange du pique-nique
Le chien daigne fermer les yeux.

Du souterrain, le prince émerge
Et voit, pour la première fois,
La blancheur de la neige vierge
Si propre aux hivers les plus froids.

Devant lui, grave et impassible,
Son père fixe l’horizon.
Si vaincre un dieu semble impossible,
Le fils doit vaincre la raison.

Le roi des Enfers lui annonce
Que sa fuite prend ici fin
Et qu’il n’attend pas de réponse :
Le sot périra de sa main.

Le prince garde le silence :
Sa cause est d’avance perdue.
Seule la sainte violence
Sera pour eux juge absolue.

Le dieu chthonien prend sa lance
Et, d’un estoc sur son enfant,
Transperce son cœur sans défense,
Y imprimant un trou béant.

Malgré cette défaite ingrate,
Le prince est loin de renoncer ;
Porté par le fleuve écarlate,
Il brûle de recommencer.

Toujours il affronte Mégère,
L’hydre, Thésée, Astérion,
Esquivant l’ire de Cerbère
Au cours de son ascension.

Toujours en sortant des Enfers,
Son père consterné l’attend ;
Toujours il essuie un revers,
Mais toujours mieux il se défend.

Toujours l’étreinte de la mort
Est un nouvel enseignement,
Si bien qu’un jour, contre le sort,
L’enfant surpasse le parent.

Vaincu, le dieu sans mot s’efface,
Ouvrant au prince le chemin
Vers l’infinité d’un espace
À la hauteur de son destin.