Valérie Lesort - La Mouche

Titre : La Mouche
Texte : d’après George Langelaan
Mise en scène : Valérie Lesort et Christian Hecq
Théâtre : Théâtre des Bouffes du Nord
Note : 0/10

D’un point de vue technique, c’est assez impressionnant, comme toujours avec le duo Valérie Lesort / Christian Hecq. Les décors sont très bien conçus, notamment la machine de téléportation.

Cela ne m’a pas empêché de haïr cette pièce avec une véhémence rare.

Le jeu est au niveau zéro du clown : on se complaît dans du vulgaire de bas étage (alors que je n’ai rien contre le vulgaire en soi ; j’aime les Chiens de Navarre et le Munstrum Théâtre, qui y vont encore plus franco), tous les personnages ont le Q.I. d’une huître et, le pire de tout, c’est que l’histoire est fondamentalement horrible.

La pièce suit Robert, un quinquagénaire socialement inapte qui vit avec sa mère.

Déjà, ce n’est pas spécialement drôle en soi ; c’est même vraiment triste. Si cette situation vous fait rire, je vous encourage à développer votre empathie, et Dieu sait que je ne suis pas un parangon de cette vertu.

Ensuite, plus la pièce avance, et plus on se rend compte qu’en plus d’être idiot, Robert est un psychopathe. Par exemple, il teste sa machine sur son chien, qu’il tue dans d’atroces souffrances, et ça fait rire.

Enfin, ça fait rire le reste du public, pas moi. Ça m’aurait peut-être fait rire si la pièce avait été intelligente par ailleurs, ou si au moins la mise en scène condamnait d’une quelconque manière les agissements de Robert, mais ce n’est clairement pas le cas.

Puis arrive Marie-Pierre, une femme qui était à l’école avec Robert (et qui a donc son âge) et qui s’était jadis fait sortir de la campagne par un soi-disant fiancé. L’homme l’a rendue enceinte, lui a pris son enfant (qu’elle n’a jamais vu), et l’a ramenée à la campagne pour s’en débarrasser. Et on voit au jeu de Valérie Lesort que Marie-Pierre est censée être une demeurée.

Sincèrement, est-ce censé être drôle ? Suis-je encouragé à me moquer d’une pauvre fille qui, en plus d’être stupide, a une vie de merde ? J’avoue que je n’ai pas eu le cœur d’en rire.

Enfin, évidemment, Robert la fait monter dans sa machine, et elle se fait vaporiser à cause d’une coupure de courant. Ce qui n’attriste Robert aucunement.

Ça aussi, ça fait rire, apparemment.

Je suis sorti de cette pièce profondément consterné et scandalisé. J’ose prétendre que notre société a atteint un niveau de civilisation où ce genre d’esthétique ne mérite plus le nom d’humour.

À ce stade, c’est juste de la dégénérescence ostentatoire.

Une plongée coupable, car volontaire, dans les travers humains les plus bas et les plus vils.

Une amie m’a dit, je cite :

« Bah si tout le monde a aimé et que t’as détesté c’est peut-être toi le fou de la salle. »

Je n’ai pas les mots pour traduire ma déception devant cette observation, aussi emprunterai-je ces vers du Misanthrope de Molière :

Non, elle est générale, et je hais tous les hommes :
Les uns, parce qu’ils sont méchants et malfaisants,
Et les autres, pour être aux méchants complaisants,
Et n’avoir pas pour eux ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses.

Allons, c’est trop souffrir les chagrins qu’on nous forge
Tirons-nous de ce bois et de ce coupe-gorge.
Puisque entre humains ainsi vous vivez en vrais loups,
Traîtres, vous ne m’aurez de ma vie avec vous.